La marqueterie de paille : éclat d’un savoir-faire oublié
Derrière son apparence simple, la paille de seigle cache un éclat insoupçonné. Naturellement brillante, qu’elle soit utilisée dans sa teinte d’origine ou subtilement colorée, elle se prête à toutes les métamorphoses.
Une fibre modeste devenue or
Introduit en Europe au Moyen Âge, le seigle servait comme les autres céréales : à nourrir et à protéger, notamment par ses chaumes utilisés en couverture. Mais c’est au XVIIe siècle qu’un nouvel usage se dessine.
Alors que la marqueterie de bois connaît un essor grâce à l’arrivée d’essences exotiques et luxueuses, une alternative plus discrète émerge : la marqueterie de paille. Moins coûteuse, mais tout aussi raffinée, elle capte la lumière comme un fil d’or, jouant des reflets selon l’angle du regard.
Dans les couvents, les moniales l’utilisent pour orner les chasubles ou les autels. Mais la technique sort rapidement des sphères religieuses pour s’installer aussi bien dans des ateliers civils que dans… les prisons. Au XVIIIe siècle, alors que les galères sont abandonnées au profit d’un bagne sédentaire, les détenus sont autorisés à fabriquer et vendre leurs créations : coffrets, boîtes à ouvrage ou petits tableaux. Ces objets ont traversé le temps, souvent sans signature, mais témoignent d’un savoir-faire singulier.
L’âge d’or de la marqueterie de paille culmine au XVIIIe siècle, avant de retomber dans l’oubli au XIXe.
Une renaissance par touches
Elle connaît une première résurgence dans les années 1920-30, à l’époque Art Déco, sous l’impulsion de décorateurs comme André Groult ou Jean-Michel Frank, qui l’emploient pour habiller meubles et intérieurs de prestige. Un bref regain d’intérêt surgit encore dans les années 1950, porté par Jean Royère notamment, mais c’est dans les années 1990 que cette technique retrouve enfin toute sa noblesse.
Lison de Caunes, petite-fille d’André Groult, redonne alors vie à ce métier d’art avec passion et exigence, mêlant tradition et modernité.
La paille de seigle, matière vivante
Graminée rustique, le seigle est cultivé comme une céréale, mais récolté à un moment particulier : juste après la floraison. Les tiges sont ensuite laissées à blanchir quelques jours au soleil, puis séchées debout, en gerbes. Leur transformation dépend ensuite de leur futur usage.
Plus souple et plus longue que la paille de blé, celle de seigle sert aux toitures, à la vannerie, à l’assise des chaises… et bien sûr, à la marqueterie. Elle peut rester naturelle ou être teintée selon les effets souhaités.
Son secret ? La silice. Absorbée durant sa croissance, elle forme une fine pellicule brillante sur l’extérieur du chaume. C’est ce vernis naturel qui rend la paille non seulement imperméable et résistante au temps, mais aussi étonnamment lumineuse. Elle réfléchit la lumière de façon unique, donnant vie à chaque création par un subtil jeu de reflets.
L’art du geste patient
La marqueterie de paille repose sur un geste manuel, minutieux. Aucun outil complexe ici : un crayon, un plioir, des ciseaux, un scalpel, un pinceau, parfois un petit marteau… et surtout, des mains patientes et expertes.
Chaque brin de paille est fendu, aplati, poli. L’artisan lisse les fibres pour révéler leur éclat, les assemble bord à bord pour créer des planches parfaites, sans vide ni chevauchement. Ce tapis lumineux est ensuite découpé avec précision selon le motif à réaliser.
C’est un travail lent, presque méditatif, qui requiert autant de rigueur que de sens artistique.
Entre tradition et création contemporaine
Si la marqueterie de paille fut jadis considérée comme la version « pauvre » de la marqueterie de bois, elle est aujourd’hui plébiscitée pour sa singularité. Polychrome ou monochrome, figurative ou abstraite, elle se décline dans des objets du quotidien ou des pièces spectaculaires : paravents, bijoux, boîtes précieuses, fresques murales…
En France, ils ne sont qu’une poignée – à peine une vingtaine – à perpétuer ce savoir-faire. Mais les brins de seigle ont retrouvé leur éclat : matière vivante, noble et poétique, ils incarnent à merveille l’alliance du patrimoine et de la créativité.